En matière de discours, on peut rejoindre l’idée de Flaubert selon laquelle le style est à lui seul une manière absolue de voir les choses. Mais il faut comprendre ce principe dans son ensemble, et pas seulement dans la tournure des phrases.
Car ce que l’on appelle généralement le style ne fait pas tout, loin de là ! Si ce que vous dites sonne bien mais que ça ne signifie pas grand-chose, vous aurez (au mieux) parlé pour ne rien dire…
Eh oui : n’avez-vous jamais applaudi un orateur brillant qui parlait avec autant d’aisance que d’humour sur un sujet qu’il maîtrisait visiblement sur le bout des doigts ? Sans doute.
Maintenant que vous y repensez, qu’avez-vous retenu de ce discours ? Que l’orateur était brillant, certes, que vous ne vous êtes pas ennuyé en l’écoutant, c’est certain… Mais le fond du propos vous échappe un peu, pas vrai ?
Retenez la leçon : il faut se méfier des effets de style qui ne sont que des effets de manche.
N’essayez pas de ressembler à ce type qui vous a impressionné mais dont vous êtes incapable de retenir les idées (probablement car il n’en avait aucune). Faire du style pour se donner un style n’est pas très porteur ; la forme doit être au service du fond, sans quoi vous feriez mieux de vous abstenir de parler.
La finalité d’un discours est toujours la même : être audible et rester compréhensible (vous n’êtes pas un intellectuel de comptoir qui fait son beurre en vendant sa soupe). Donc pour avoir du style, le plus simple est encore de trouver le sien. Car, en imitant les autres, on est généralement peu performant, même si le modèle initial avait tout d’un grand orateur.
Oubliez les grands discours qui bercent l’imagerie populaire, votre mission étant probablement bien éloignée du contexte de ces derniers. À moins que vous ne deviez prononcer un discours politique (devant une association, une assemblée ou un lobby), singer les envolées lyriques de John Fitzgerald Kennedy risque de vous porter préjudice.
Retenez une règle simple : soyez authentique et ne mélangez pas les genres. Si vous êtes vous-même convaincu par ce que vous dites, alors vous n’avez pas besoin de vous prendre pour un autre. Assumez ce que vous êtes, délivrez votre message et portez des valeurs qui vous sont chères, cela sera déjà amplement suffisant
Et pour vous mettre tout à fait à l’aise avec la rédaction de votre discours et la question du style, il reste à souligner que, contrairement à l’idée qu’on peut s’en faire, c’est bien celui qui prononce un texte qui lui donne du style, et non l’inverse. Pour vous en convaincre, prenons l’exemple d’un metteur en scène iconoclaste : Jérôme Savary.
Dans ses pièces de théâtre devenues célèbres pour leur originalité, Jérôme Savary opte pour une mise en scène très moderne qui révolutionne le genre. Ainsi, lorsqu’il a décidé de réviser L’Avare de Molière en 1999, on pouvait voir sur scène un Cléante arborant une crête rose sur la tête et un blouson de cuir tandis que son père Harpagon mimait une jeunesse consommatrice de cannabis pour en expliquer les errements. Je peux vous le garantir, cela donnait tout de suite une autre allure au texte originel !
Ainsi, un texte bien écrit mais classique peut tout à fait prendre une dimension nouvelle si celui qui le prononce y met de l’énergie et de l’enthousiasme.
Et n’oubliez pas que l’inverse est tout aussi vrai : imaginez un texte emporté et imagé prononcé sur un ton monocorde… Il y a peu de chances que le rendu soit convaincant. Visualisez Frédéric Mitterrand prononçant un discours de Malcolm X, vous pensez que le résultat serait le même ?
Oubliez vos complexes littéraires si vous ne trouvez pas de formule digne d’entrer dans l’histoire ; bien peu y sont parvenus. Rédigez votre texte comme vous le sentez sans vous forcer à trouver des métaphores fantasmagoriques ou des slogans en alexandrins. Vous vous rattraperez en mettant toute votre conviction dans votre discours.
Après tout, l’énergie de l’action est souvent supérieure à de l’ersatz d’émotion. Comme l’écrivait Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon : « le style, c’est l’homme ! »